LITTERall

Anthologie de littératures allemandes

N° 17 – 2009

Impressum

Editorial

Christa Wolf

Pierre Bergounioux

Dominique Dussidour

Alain Lance

Bernard Noël

Danièle Sallenave

Cécile Wajsbrot

Karin Reschke

Uwe Timm

 

 

Gabrielle Alioth

Katharina Born

Martin R. Dean

Peter Finkelgruen

Günter Kunert

Dieter Schlesak

Écrire l’autre langue

  La langue du déplacement
  Inventer sa langue ?
  La langue d’accueil est-elle hospitalière ?
  Celui qui écrit dans l’autre langue reste-t-il toujours déplace

auteurs & sources

 

Gabrielle Alioth

Terre-Neuve

L’Air

Du haut des airs, l’île semblait grise. Depuis qu’ils avaient émergé du brouillard, ils survolaient des rochers, des lacs gelés, des forêts incendiées. Il aperçut au loin une plage blanche. Lors de sa première visite, ses collègues de la Faculté d’histoire de la Memorial University ne lui avaient montré que le centre de St John. À ce moment-là, il faisait déjà nuit, et dans la baie, des blocs de glace flottaient, tels les yeux figés du bouillon. Plus tard, il avait découvert les cités hideuses qui proliféraient aux confins des villes en s’étendant sur les collines brunes, mais à ce moment-là, il avait déjà pris la décision de rester. Le monde était partout constitué des mêmes éléments. Il s’était spécialisé dans la datation de manuscrits anciens.

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Traduction de Françoise Toraille

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Katharina Born

« Porter l’étoile en France »

L’histoire de Hanns Alberti, Juif berlinois devenu prêtre catholique en France

La femme sut immédiatement qui était celui que son fils avait invité à dîner.
À table, elle parla de l’avenir, des affaires florissantes de son mari et des belles choses qu’on trouvait de nouveau à quelques pas du Hansaviertel, ce quartier bombardé du centre de Berlin. Enfin, après le plat de résistance, elle prit un air qui en disait long et fit remarquer au jeune théologien venu de France la présence du piano à queue dans le grand salon.
« Bel instrument, dit le Père Alberti, un Blüthner.
— Vous l’avez reconnu, n’est-ce pas ? » demanda la femme.
Alberti la regarda d’un air étonné. En été 1950, alors qu’il était professeur au Grand Séminaire d’Autun, dans le Sud de la France, il était déjà venu à Berlin pour un voyage d’études. Ce n’était pas la première fois qu’il se trouvait face à une complaisance désagréable et à l’étalage de l’opulence dans la ville en ruines. Mais ce n’est qu’à ce moment précis qu’il commença à comprendre ce qui le mettait mal à l’aise.

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Traduction d’Isabelle Liber

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Martin R. Dean

MOI *

*En français dans le texte

Il y avait à Berne, la capitale du pays, un lieu tout spécialement dédié au sauvetage de la littérature : les ARCHIVES LITTÉRAIRES SUISSES. Celles-ci relevaient pour la postérité les empreintes des écrivains, sans se soucier de savoir pour combien de temps encore cette postérité existerait ni si elle continuerait de s’intéresser à la littérature. Quelle consolation, se disait l’écrivain, que quelqu’un veuille penser à moi le jour où je ne serai plus, le jour où j’aurai tiré ma révérence, volontairement ou non, trop tôt ou trop tard, on ne choisit pas. L’idée de ces ARCHIVES LITTÉRAIRES l’enchantait, il y voyait un phénomène comparable à la RÉINCARNATION des Hindous ou à la VIE ÉTERNELLE des Chrétiens. Comme des bal- cons, ces grandes idées ouvraient de nouveaux horizons. Depuis l’au-delà, l’écrivain jeta un œil sur l’ici-bas et vit tous les liens qui existaient entre son œuvre, sa vie et sa mort. À n’en point douter, ses préférences, ses aversions, ses habitudes et ses faiblesses permettraient d’élaborer pour ses textes des interprétations passionnantes dont il ne prendrait connaissance que dans l’AU-DELÀ LITTÉRAIRE. L’écrivain se sentit alors pris au piège. Car de telles infor- mations sur son œuvre se trouvaient aussi dans les lettres qu’il écrivait et les notes qu’il prenait, sur des post-it collés çà et là et des serviettes en papier, sur des coins de journaux déchirés, des rouleaux de papier hygiènique et des paquets de cigarettes vides, bref, sur pratiquement tout ce qui portait son empreinte.

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Traduction d’Isabelle Liber

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Peter Finkelgruen

Le bus était à moitié vide

Le bus était à moitié vide. De bon matin, peu avant neuf heures. La fraîcheur matinale, qu’il avait ressentie moins d’une heure auparavant, à l’arrêt près du kibboutz, s’était dissipée. Le soleil dominait, vite haut dans le ciel. Une chaleur lourde se répandit dans le bus. La plupart des passagers semblaient doucement somnoler. Le garçon assis côté fenêtre juste derrière la portière était installé à côté d’une femme âgée portant, chose incongrue pour le lieu, la saison et l’heure, une veste de fourrure.

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Traduction de Françoise Toraille

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Günter Kunert

ES GEHT DAHIN
Der Nervenenden zage Vibration,
das Zögern Preis der Leiblichkeit,
der matte Schritt des Alters Lohn :
Wohin ? Hinaus aus aller Zeit,
aus dem Gewese, das verklingt,
verstummt, erstirbt, was eben war :
Wohin ? Wo einem nichts mehr winkt
als Ziel. Dein Fall ist klar.

AINSI S’EN VA
Tes nerfs qui tant vibraient devenus hésitants,
Quand prisonnier du corps plus rien tu n’affrontes,
Allure languissante récompense des ans :
Où aller ? Hors de tout temps qui se compte,
Hors de ces façons qu’hier on disait vives
Qui s’effacent, se taisent et trépassent :
Où aller ? Là où jamais ne sera la rive
D’un but. Tu es au fond de la nasse.

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Traduction de Jean-Paul Barbe

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Dieter Schlesak

Transylvagonie

Fuir cette lumière. Ne plus entendre les horloges. Ne plus rien entendre. Me blottir, m’enfuir. N’être plus personne. Et pouvoir ainsi tout endurer ! Même la peur de mourir, et la peur de voir mourir tous les êtres aimés... Maman n’est plus...
Par la fenêtre fermée, regard sur le jardin, en contre-bas : les deux arbres familiers; un bourdonnement au creux de mon oreille, dans ma tête. On frappe un coup contre la vitre qui me sépare du dehors. Est-ce un oiseau, incapable de chanter la chanson douce que j’écouterais en m’endormant ? La vitre mince tinte, mais ne se brise pas. Ce n’est pas un esprit non plus, Maman n’est pas ici, quelle bêtise de s’imaginer une chose pareille ; elle en rirait si elle savait; un esprit ? Elle est... mais non, cette grammaire ne convient plus. Je regarde à l’extérieur, à l’intérieur de la pièce. Tout n’est qu’illusion. Je suis seul comme la plupart d’entre nous, j’ai peur comme tout le monde. Comme beaucoup, je suis au bord de l’épuisement.

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Traduction d’Isabelle Liber

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