LITTERall

Anthologie de littératures allemandes

N° 17 – 2009

Litterall No 17

 

Impressum

Editorial

Christa Wolf

Pierre Bergounioux

Dominique Dussidour

Alain Lance

Bernard Noël

Danièle Sallenave

Cécile Wajsbrot

Karin Reschke

Uwe Timm

Gabrielle Alioth

Katharina Born

Martin R. Dean

Peter Finkelgruen

Günter Kunert

Dieter Schlesak

Écrire l’autre langue

  La langue du déplacement
  Inventer sa langue ?
  La langue d’accueil est-elle hospitalière ?
  Celui qui écrit dans l’autre langue reste-t-il toujours déplace

auteurs & sources

editorial

« Je ne suis qu’un hôte dans la langue allemande. L’allemand est une langue qui s’est implantée en moi tardivement, douloureusement. C’est pour cette raison qu’elle est devenue la langue de ma prose littéraire, parce qu’elle est toujours restée pour moi entourée d’une aura d’étrangeté qui charge les mots d’une passion tout à fait particulière » écrit Elias Canetti qui n’apprit l’allemand qu’à l’âge de huit ans. L’aura de l’étrangeté, la passion particulière que l’on peut éprouver à soumettre son écriture aux dangers, aux surprises, au bouillonnement qu’apporte « l’autre langue » sontelles un aiguillon pour l’écriture, une sorte de plus value pour une littérature qui ne se nourrit que d’une seule culture ?

À l’époque des retours identitaires, des déracinements, de l’effacement des frontières, du métissage des cultures et des langues, à l’époque de la cyberculture, on observe une grande mobilité des écrivains, une mobilité qui n’est pas nécessairement vécue comme un exil, ni comme une émigration politique, sociale, économique, mais comme un déplacement fait d’allées et venues, d’allers et de retours, de « diasporisations » transversales et plurielles.

Comme l’a analysé Pierre Bourdieu, la situation de l’écrivain dans cette mouvance du déplacement varie en fonction de l’histoire du pays qu’il quitte, des conditions dans lesquelles il le quitte, de l’histoire et de la situation politique du pays dans lequel il s’installe et de la spécificité des champs littéraires auxquels il est confronté, c’est à dire qu’elle dépend d’un ensemble institutionnel complexe peuplé d’écrivains qui se définissent par leur style, les formes qu’ils choisissent, le genre d’histoires qu’ils racontent.

En novembre 2008 un colloque organisé par Les Amis du Roi des Aulnes en collaboration avec la Maison de l’Europe et le Goethe Institut a réuni autour de ce thème, pour des débats et des lectures, les écrivains Silvia Baron-Supervielle (Paris), Velibor Čolić (Douarnenez), Róža Domašcyna (Bautzen), Zsuzsanna Gahse (Zürich), Nedim Gürsel (Paris), Vénus Khoury-Ghata (Paris), Ilma Rakusa (Zürich), Emine Sevgi Özdamar (Berlin), et les universitaires et chercheurs Albert Dichy (Paris/Caen), Ottmar Ette (Berlin), Katja Schubert (Paris).

Reprenant le questionnement d’Edouard Glissant, dans le Discours antillais, ces écrivains, qui ont choisi d’écrire « l’autre langue », ont interrogé leur écriture : est-elle « un langage qui utilise des poétiques peut-être opposées » une écriture « de l’entre-deux, de la béance, de l’interstice, de l’enracinerrance » (Glissant), une écriture qui façonne un nouvel imaginaire, et confère une autre dimension aux littératures dites « nationales » ? LITTERall publie un compte rendu de leurs travaux.

En 2009, le PEN Club des écrivains allemands résidant à l’étranger fête son 75e anniversaire. Fondé en 1934 quelque part entre Londres, Paris et Sanary-sur-Mer par des écrivains allemands contraints de fuir le régime nazi – Heinrich et Thomas Mann, Lion Feuchtwanger, Anna Seghers, Ernst Toller et Alfred Döblin entre autres – cette section du PEN Club réunit aujourd’hui des écrivains de langue allemande originaires d’Allemagne, d’Autriche, de Suisse, de Roumanie, qui souvent se sont établis loin du champ linguistique dont ils écrivent toujours la langue. À cette occasion une anthologie de textes a été éditée par Gabrielle Alioth et Hans-Christian Oeser. Elle rassemble des contributions d’une trentaine d’auteurs et souligne une certaine diasporade la littérature de langue allemande au début du XXIe siècle. LITTERall publie les récits et les poèmes des six écrivains – Gabrielle Alioth, Katharina Born, Martin R. Dean, Peter Finkelgruen, Günter Kunert et Dieter Schlesak – qui participeront aux rencontres organisées au Goethe Institut en septembre 2009, en collaboration avec le PEN Club des écrivains allemands à l’étranger et Les Amis du Roi des Aulnes.

La première partie de cette livraison est consacrée à l’œuvre de Christa Wolf. À l’occasion de son quatre-vingtième anniversaire, six écrivains français ont répondu à l’invitation de LITTERall, écrit et lu un texte au cours d’une soirée consacrée à l’écrivain à l’Observatoire du Livre et de l’Écrit de la Région Ile-de-France (MOTIF). Christa Wolf appartient à une génération qui a payé un lourd tribut à l’histoire allemande. Née en 1929 dans unepetite ville de Poméranie orientale, elle se forma d’abord à l’école des maîtres du moment et de leurs mouvements de jeunesse. Au début de l’année 1945, lorsque l’avancée de l’Armée rouge jeta sa famille, avec des millions d’autres Allemands, sur les routes de l’Ouest, la rencontre de l’adolescente avec un détenu d’un camp de concentration rescapé de la Marche de la Mort cristallisa une prise de conscience douloureuse et décisive que la romancière a racontée plus tard dans Trame d’Enfance. L’effondrement des certitudes transmises par l’éducation du national-socialisme, le sentimentd’avoir sa part dans la culpabilité collective incitèrent la jeune femme à s’engager pour une «autre» Allemagne, une Allemagne nouvelle où il ne se produirait plus jamais «ça».

Plus tard, en 1987, faisant allusion à ce «changement d’optique»si déterminant dans sa vie, Christa Wolf constatera que sa «génération a troqué trop tôt une idéologie contre une autre, qu’elle est venue tardivement à l’âge adulte, avec ses réticences, et que certains ne sont d’ailleurs jamais devenus des êtres adultes, j’entends par là, [dit-elle] mûrs, autonomes.» Toute l’œuvre de Christa Wolf reflète ce long chemin vers la maturité, l’autonomie, la lucidité.

Nicole Bary

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Christa Wolf

Information

Ce que j’ai à dire sur moi-même ne peut être que bref et sec. Je suis née en 1929, à Landsberg sur la Warthe. Les villes de l’est sont restées pour moi le prototype de la ville en général. Les paysages de l’est avec une rivière provoquent en moi un sentiment de déjà-vu. Mes parents tenaient un commerce d’alimentation. Mon enfance s’est déroulée sous le régime national-socialiste. La prise de conscience des empreintes laissées par cette situation caractéristique de ma génération, leur élaboration par l’écriture furent l’impulsion élémentaire pour mon travail ultérieur. Les ruptures que ma génération a connues dans sa biographie externe et interne sont significatives, je crois, des ruptures et déchirements de ce temps. Un écrivain peut considérer cela comme une chance, à condition dene pas devoir, en tant que personne, dépenser trop de son énergie créatrice à traverser cette épreuve extrême sansen être gravement déformé.

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Traduction de Rose-Marie Zeitlin

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Pierre Bergounioux

 

L’essentiel est déjà écrit lorsque nous répondons à l’appel de notre nom, à la porte des limbes. Mais c’est à l’encre sympathique, dans le registre invisible du sort,et la vie servira de révélateur au texte de nos jours.
Lorsque Christa Wolf se présente au guichet, on est en 1929, en Allemagne et c’est dans la moitié opposée du ciel qu’elle tente l’équipée.
C’est par là que je vais commencer.

FEMME
Les hommes, au sens étroit du terme, se sont ingéniés, depuis le néolithique, à persuader aux femmes que la division du travail, et la culture qui s’ensuit, se déduisaient de la nature. En vertu de quoi, ils leur ont confié le soin des enfants, celui de la cuisine, l’observance des rites qu’ils avaient édictés et dont ils assuraient la conduite. Ils se réservaient, quant à eux, les activités excitantes ou gratifiantes, comme la chasse, la guerre, la politique, qui en est la continuation, et la littérature, qui en est l’expression.
C’est le premier déni de justice que nous ayons infligé à nos sœurs.

ALLEMANDE
À ce titre, Christa Wolf est partie prenante de la tragédie collective à laquelle s’apparente le destin du pays voisin depuis qu’il s’est constitué, tardivement, en État nation sous domination prussienne, et dont nous avonseu longtemps à pâtir pour cause d’immédiat voisinage.

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